Persévérance scolaire des jeunes autochtones

La pédagogie autochtone

5 mai 2017

Texte de Diane Campeau, Candidate au doctorat et chargée de cours, Université de Sherbrooke

1. LA PÉDAGOGIE AUTOCHTONE : DÉFINITION ET CARACTÉRISTIQUES

Bien que ses fondements soient ancestraux, la pédagogie autochtone n’a été que récemment nommée et reconnue, dans la foulée du mouvement actuel d’affirmation identitaire et d’autodétermination autochtone à travers le monde. Plusieurs auteurs et chercheurs autochtones à travers le monde ont contribué à théoriser cette pédagogie. Pour le contexte nord-américain, des auteurs comme Battiste (2002), Battiste et Youngblood Henderson (2000), Cajete (1994), Kawagley (1995), Little Bear (2009) ont participé largement à la diffusion des fondements et des valeurs associés à cette pédagogie.

La pédagogie autochtone s’insère très fortement dans son cadre local, et ce, dans une vision holistique du monde, laquelle est mutuellement influencée par la famille immédiate et élargie, par la communauté et la Nation autochtone à laquelle l’individu appartient et par le lien qui l’unit aux aînés et au territoire sur lequel il vit (Archibald, 2008). Selon Aikenhead (2006), ce réseau de relations intimement lié à un contexte écologique spécifique inclut des catégories linguistiques, ainsi que des règles et relations distinctives reliées aux savoirs locaux. Ces savoirs locaux sont des savoirs dynamiques et ne doivent pas être perçus comme des artéfacts, car ils sont en réponse constante avec ce qui se vit au sein du territoire et de la communauté (Battiste, 2002).

La pédagogie autochtone se manifeste par une lecture du monde qui se vit dans une structure non hiérarchisée. Il n’y a pas de hiérarchisation des savoirs ni des individus : une discipline n’est pas vue comme plus importante par rapport aux autres. La relation entre maître et élèves en est une de partenariat. L’enseignant dans ce contexte sert de guide. C’est une position qui est recommandée dans le Programme de formation de l’école québécoise. La classe devient donc une communauté d’apprentissage basée sur l’approche relationnelle comme facteur important. L’apprenant autochtone assume donc entièrement la responsabilité de son apprentissage, soulignent Cajete (1994) et Battiste (2002). Cette autonomie laissée au jeune se trouve également dans les pratiques parentales d’éducation chez les autochtones. En effet, dans ces pratiques, on laisse les enfants faire leurs propres choix, ce qui « s’oppose aux fondements mêmes des pratiques parentales de la plupart des sociétés occidentales » (Guay, 2015, p. 24). Cette autonomie se reflète en éducation formelle par la place qui est laissée à l’élève afin de lui permettre de gérer ses apprentissages en respectant son rythme. L’élève, dans ce contexte, est un participant à part entière dans la relation éducative et ne se situe pas dans une position inférieure d’un point de vue hiérarchique. Le rôle du maître est quasi inexistant dans la pédagogie autochtone et il est comblé, selon les besoins, par différentes personnes-ressources issues de la communauté. L’expérience immédiate reste la source principale de tout apprentissage. Est ainsi valorisée la capacité à apprendre de manière indépendante avec un minimum d’intervention et d’instruction (Battiste, 2002).

Dans le contexte de la pédagogie autochtone, l’apprentissage vise d’abord un développement de soi tout au long de la vie. Il se réalise dans une perspective d’appartenance à une communauté et à un espace-temps, à l’intérieur desquels chaque identité est acceptée et chaque individu valorisé, dans la reconnaissance et le respect de tout un chacun. L’apprentissage se réalise dans une dynamique d’équité qui se rattache aux droits et aux responsabilités des individus par rapport à leur communauté. La pédagogie autochtone se caractérise également par une éducation transgénérationnelle qui accorde un rôle important aux aînés.

2. LA PÉDAGOGIE AUTOCHTONE EN RÉPONSE AUX PROFILS D’APPRENTISSAGE DES ÉLÈVES AUTOCHTONES

Bien qu’il faille se méfier des stéréotypes ou des généralisations à outrance, plusieurs auteurs, cités par Ledoux (2006), ont déterminé les caractéristiques quant aux modes d’apprentissage ou préférences liés aux styles d’enseignement des élèves autochtones. En général, on peut dire que les élèves autochtones :

  • apprennent de manière globale et non séquentielle ;
  • sont imaginatifs et comprennent davantage à l’aide de schémas et d’images qu’à partir d’un texte écrit ;
  • apprennent davantage lorsqu’il y a une possibilité de manipulation, et en présence d’un objet réel ;
  • apprennent par observation et imitation ;
  • sont des apprenants réflexifs (ils ont besoin de plus de temps pour assimiler un concept) ;
  • valorisent le groupe plutôt que l’individu, ce qui peut même impliquer qu’un individu abaisse son seuil de performance pour ne pas être supérieur à l’ensemble (Ledoux, 2006).

Ces caractéristiques sont d’ailleurs semblables à celles déterminées pour le profil de l’élève innu par l’Institut Tshakapesh. Des chercheurs ont de plus noté que les élèves autochtones ont des résultats scolaires supérieurs lorsque l’on respecte leur style d’apprentissage (Castagno et Brayboy, 2008).

La pédagogie autochtone s’avère une réponse cohérente avec les styles d’apprentissage des élèves autochtones. Le modèle autochtone de transmission des savoirs privilégie la modélisation, la pratique et l’animation. L’oralité en constitue la principale caractéristique. Les images, les schémas et les symboles sont encore souvent préférés à l’écrit, même dans le contexte contemporain de la pédagogie autochtone. Afin de bénéficier de ces moyens, Battiste (2002) suggère à l’enseignant en milieu autochtone d’utiliser une variété de modèles de participation et de médias de communication, tels que les dialogues, les observations participantes, les méditations, les mythes et légendes, les cérémonies et rituels. La pédagogie autochtone peut être résumée par cette formule :

Une pédagogie qui contribue à la mise en place d’activités d’apprentissage, […]
qui favorisent une lecture du monde, […] qui se vit à travers les trois dimensions du monde physique et matériel, les quatre éléments et plus[1] et les cinq sens et plus[2][…]
pour la lecture d’un lieu ou d’une expérience (Campeau, 2016).

Les trois dimensions font référence aux dimensions physiques dans un espace donné. Certaines cosmologies autochtones ajoutent l’Esprit aux quatre éléments (l’eau, l’air, la terre et le feu). Aux cinq sens reconnus dans le monde occidental comme des fonctions qui permettent à l’humain de percevoir son environnement (la vue, l’odorat, le goût, l’ouïe et le toucher), s’ajoute un sens métaphysique, qui est en quelque sorte un sixième sens ou un sens relié à l’intuition. Les activités d’enseignement-apprentissage développées à partir de cette pédagogie contribuent à engager l’élève dans une action concrète où plusieurs des sens sont sollicités dans un monde en trois dimensions plutôt que dans un monde littéraire. Mettre en contexte les activités à travers l’un des éléments (eau, air, terre ou feu) permet par ailleurs de lier les apprentissages à des caractéristiques du territoire, qui a influencé et qui influence toujours l’individu et sa communauté. Il s’agit en fait d’une pédagogie vivante et actuelle qui correspond plus que jamais à une éducation dans un monde complexe.

En conclusion, la pédagogie autochtone ne s’adresse pas qu’aux élèves autochtones. Elle s’avère une option valable pour tout enseignant, enrichissant le répertoire des approches pédagogiques et redonnant ainsi à la pédagogie autochtone la place qui lui revient au sein des théories de l’éducation.

 

RÉFÉRENCES

Aikenhead, G.S. (2006). Towards Decolonizing the Pan‐Canadian science framework. Canadian Journal of Science, Mathematics and Technology Education, 6 (4), 387-399. Document accessible à l’adresse : http://dx.doi.org/10.1080/14926150609556712.

Archibald, J. (2008). Indigenous Storywork. Educating the Heart, Mind, Body, and Spirit. Vancouver : UBC Press.

Battiste, M. (2002). Indigenous Knowledge and Pedagogy in First Nations Education. A Literature Review with Recommendations. Ottawa : Indian and Northern Affairs Canada (INAC). Document accessible à l’adresse : http://tinyurl.com/llayfcm.

Battiste, M. et Youngblood Henderson, J. (2000). Protecting Indigenous Knowledge and Heritage: A Global Challenge. Saskatoon : Purich Publishing ltd.

Biermann, S. et Townsend-Cross, M. (2008). Indigenous Pedagogy as a Force for Change. The Australian Journal of Indigenous Education, 37, 146-154.

Cajete, G. (1994). Look to the Mountain: An Ecology of Indigenous Education. Durango, CO : Kivaki Press.

Campeau, D. M. (2015). Pédagogie autochtone : paradigme éducatif au service des apprentissages du programme de formation. Revue de la persévérance et de la réussite scolaires chez les premiers peuples, 1, 72-74.

Castagno, A. C. et Brayboy, B. M. J. (2008). Culturally Responsive Schooling for Indigenous Youth: A Review of the Literature. Review of Educational Research, 78(4), 941-993.

Guay, C. (2015). Les familles autochtones : des réalités sociohistoriques et contemporaines aux pratiques éducatives singulières. Intervention, (141), 17-27.

Ledoux, J. (2006). Integrating Aboriginal Perspectives into Curricula: A Literature Review. The Canadian Journal of Native Studies, XXVI(2), 265-288.

Little Bear, L. (2009). Naturalizing Indigenous Knowledge Synthesis Paper. Saskatoon : Canadian Council on Learning – Aboriginal Learning Knowledge Centre. Pour accéder à ce document : http://www.ccl-cca.ca/pdfs/ablkc/naturalizeIndigenous_en.pdf.

[1] Quatre (4) éléments et plus : les Premières Nations adhèrent à ces quatre éléments en y ajoutant « l’Esprit qui circule dans toute vie  » (Michell et al, 2008, p. 84, trad. libre).
[2] Cinq (5) sens et plus : « Peut comprendre les rêves, les visions et l’intuition » (Ibid., p. 120, trad. libre).